Souvent, tu es déjà en train de d’activer aux fourneaux.
Des pâtes à la sauce tomate avec une demi livre de beurre, du pain perdu, de la soupe aux poireaux,…
Il est 17h30, et je t’accompagne pour le diner, oui à 17h30 !...
Depuis la mort de mamie, je passe en sortant du bureau pour te voir et pour que tu ne manges pas seul car je sais que tu es survivant,
tu n’as plus ta femme, ton amour.
Tu me racontes tes souvenirs de jeunesse, la guerre, le service militaire, tes premiers amours, la rencontre avec mamie, on
parle de la pluie, du beau temps.
Comme un vieux couple, nous faisons la vaisselle ensemble et je repars à 19h pour que tu puisses aller te coucher.
Tu me raccompagnes et tu me fais coucou, appuyer sur ta grille, jusqu’à ce que j’ai quitté la rue.
Cette période aura duré longtemps et puis les rendez vous se ont espacés progressivement.
Les horaires plus longs au boulot, l’achat et les travaux à la maison, la naissance de ma fille.
Pour autant, nous gardions des moments privilégiés, tôt le matin avant d’aller au bureau, je passe boire le café.
Voilà que le temps a passé et maintenant tu as 90 ans.
Je me suis toujours dit que le pire serait le jour où tu allais mourir.
Que se serait pour moi une épreuve terrible et qu’on a beau « se préparer » psychologiquement, au moment de la séparation, on n’est jamais prêt.
Mais le pire, en fait, c’est de te perdre alors que tu es là.
Aujourd’hui, tu refuses d’accepter ton âge et toute adaptation de ton environnement ou changement d’habitude est vécu comme une
persécution, tu es exigeant, têtu, tout est urgent, tu te mets en danger plutôt que d’accepter de l’aide, tu es absent : je te vois parfois assis avec tes yeux clairs figés dans le vide, tu es négatif parfois même agressif, tu es anxieux.
Tu nous menaces « si je vais en maison de retraite, je me laisserais mourir »
Bref, on appelle cela les difficultés liées à la perte d’autonomie.
Et pour nous, ta famille proche, ce n’est pas facile.
Les rôles changent, je ne suis pas ta bienveillante petite fille qui vient boire un café, je suis l’intendante de
la maison.
Je viens pour évaluer tes besoins et mettre en place des plans
d’actions pour te maintenir, selon ton souhait, à domicile.
Gérer les aides
ménagères, faire tes courses, veiller à la propreté et à la sécurité.
Un rôle
ingrat, car pour toi, je suis à la fois bienfaitrice par mon aide mais également
tortionnaire par les limites que je t’impose. (couper ton fil à linge pour ne
plus te voir grimper sur des chaises, bouger des meubles pour ne plus que tu
prennes les pieds dedans, te demander de faire des lessives plus souvent..)
Ce
matin, tu nous appelles à 4h40 car tu as fait une chute, nous courons pour
arriver chez toi.
Cette fois encore, tu as de la chance, tu n’es pas trop
blessé.
Nous bataillons pour déplacer cette foutue chaise dans le passage pour
éviter que tu ne retombes, tu n’es pas arrangeant, ni tendre avec nous.
Nous
t’écoutons dire que tu aurais préféré y rester parce que tu n’es plus qu’un «
grabataire ».
Nous sortons découragés, épuisés, résignés.
Ce n’est plus toi.
Alors je ferme les yeux, j’accepte que cet homme amer ne soit pas toi.
Tu
disparais un peu chaque jour.
Alors je monte dans ma voiture et je repense à
cette odeur de pain perdu qui m’attendait quand je venais te voir et je sais
qu’en dépit des difficultés, ma place est ici et maintenant à tes côtés en
souvenir de çà.
Je rentre chez moi, il est 6h, je suis fatiguée, je monte dans ma
chambre où mon mari et ma fille sont endormis dans le lit. Ma fille me dit
qu’elle veut dormir contre moi, je la sers bien fort dans mes bras, je respire
l’odeur de ses cheveux et je me repose une heure avant de repartir au bureau.
La
vie est là, elle continue malgré tout et me donner la force de me dépasser pour toi.
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