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Graines de voyages à découvrir

mercredi 15 décembre 2021

A mon papounet

Papounet,

Notre histoire n’était pas une évidence, la vie a fait que nous nous sommes connus tardivement.
Quand mamie est décédé, je t’ai vu complétement abattu.
Alors je passais en sortant du bureau pour te voir et pour que tu ne manges pas seul car je sais qu’à ce moment-là, tu es un survivant, tu n’as plus ta femme, ton amour.
Souvent, tu es déjà en train de t’activer aux fourneaux et la table est mise.
Comme un vieux couple, nous mangeons, nous discutons et nous faisons la vaisselle ensemble et je repars à 19h pour que tu puisses aller te coucher.

Tu me racontes tes souvenirs de jeunesse et l’admiration que tu as pour ta maman, la guerre et des histoires sur les « boches », comme tu les appelais, mais avoir son enfance pendant cette guerre laisse des marques à vie.
Tu m’expliques ton choix de devenir mineur pour subvenir aux dépenses de la famille et le service militaire à Versailles où tu cachais du poisson dans ton casier, les bagarres avec les américainsTu me parles de tes premiers amours et cette jeune fille que tu as décidé de quitter sur un coup de tête un jour 
de l’an parce que tu t’es rendu compte que tu ne l’aimais pas.
Et puis un jour merveilleux où tu te balades au marché et tu rencontres mamie.
La rencontre qui changera ta vie.
Tu lui siffles la chanson « et j’entends siffler le train » pour qu’elle sache que tu es devant chez elle.
Ce n’est pas facile à 30 ans d’être le dernier à partir de chez ta maman, mais vous vous installez mamie et toi et vous avez 2 enfants.
Tu me racontes les bêtises de ma maman qui pleurait toujours dès qu’elle voyait une autre tapisserie que celle de sa maison.
Tu me parles souvent de ton jardin, de la rue Lassigny et des bêtises de tes chats, Zébulon, Tarzan, Poupette…
Souvent tu me partages ton expérience de mineur de fond c’est plus qu’un métier, j’ai toujours été admirative de ces gueules noires qui ont donné leur santé mais qui vous parle toujours de leur métier comme une passion, la fosse, les coups de grisou, le porion, les corons.
J’ai adoré aller à Lewarde avec toi et t’écouter transmettre ton vécu au guide.
Avec toi, je parlais patois, je n’ai pas à me forcer, c’est notre langage.


Avec les années mon rôle d’aidant a pris de plus en plus de place, j’espère que tu sais que toutes les décisions que j’ai prise à ta place, je les ai prises avec bienveillance.
Je t’ai accompagné dans ces derniers temps plus difficiles.
Je ne te dis pas aurevoir aujourd’hui puisque la vie a voulu que mon aurevoir je te l’ai directement adressé : tenir ta main, te demander de ne plus t’accrocher à la vie, voilà la chose la plus difficile qu’il m’est été donné de faire.
Mais je n’ai aucun regret, les mots qui sont prononcés, j’ai eu la chance de pouvoir te les dire de ton vivant. Tu es parti avec tout mon amour.



Alors aujourd’hui, ce que je veux te dire c’est Merci.
Tu fais partie des personnes essentielles à ma vie, je me sens chanceuse et riche d’avoir pu forger cette relation avec toi.

Avec toi, j’ai appris les liens du cœur : le soutien, l’amour, l’entraide, la confiance que nous partageons dans une famille vaut plus que les liens du sang.
Je ne t’aime pas parce que tu es le père de ma mère.
Je ne t’aime pas parce que tu es âgé et que je me fais un devoir d’être à tes côtés.

Je t’aime parce que j’aime passer du temps avec toi, écouter tes souvenirs, l’odeur de ton café dans nos tasses à café mutuelles, tes yeux clairs et tes rides aux coins des yeux, ton humour, ta bonne humeur, ta générosité, ton courage, ta fidélité, ta persévérance, ton honnêteté, ta volonté, ta simplicité, ta connaissance de l’histoire et du passé, du ciel et de la terre.
Tu mesurais 1 mètre 63 mais tu étais un grand Homme.

Je sourie en pensant à toi quand je pense au beurre que tu mets en grosses couches sur tes tartines ou dans tes pates à la sauce tomates, au vermicelle que tu jettes en poignées dans ta soupe, au pain perdu, à ta fameuse barrière où tu aimais regarder le monde.
Je t’aime dans toutes les petites choses simples de la vie qui font ta personnalité et même pour ton foutu caractère.

Merci d’être un arrière-grand-père bienveillant et patient pour ma fille.
C’était un trésor dans tes bras, tu l’as aimé autant qu’il était possible d’aimer quelqu’un.
Merci d’avoir dit à maman que « c’était une bonne », elle avait besoin de l’entendre et en plus c’est vrai, elle t’a aussi donné tout son amour jusqu’au bout.

J’aime bien me dire que quand nos valeurs communes résonnent en moi, c’est un peu ton histoire qui vit en moi.
Je suis certaine que tout l’amour que j’ai eu pour toi ne disparait pas, il reste au creux de mon cœur et il est une partie de toi que je conserverais pour toujours.

Tu es enfin avec mamie,
Je sais que vous veillerez toujours sur nous,
Tu seras toudi din min cœur, je t’aime.



Chansons : 

















lundi 29 novembre 2021

Le bon chemin, celui de mon coeur

 

Jamais je n’aurais cru que tenir ta main soit si difficile.
J’arpente ce couloir d’hôpital depuis des mois pour venir te voir le plus possible.
Ta santé si fragile me soulève des yoyos d’émotions, nous oscillons en permanence entre la vie et la mort.
Je vois ton corps décharné, je comprends que les soins qui te protègent te maltraitent à la fois, j’écoute tes propos parfois désordonnés.
Je fais des démarches administratives toutes plus déshumanisés les unes que les autres qui me font prendre conscience que ce monde est parfois vraiment méprisable.
Je puise dans mes ressources et je m’épuise.
Et je vois les ressources de ma maman s'épuiser également.
Mais comment s’économiser quand on sait que ton temps est plus que compter.

Quand toutes les émotions se mélangent, quand d’un côté je tente de te trouver un univers adapté pour te préserver et d’un autre côté, je comprends que tu as envie de lâcher prise, de te laisser mourir pour arrêter de souffrir.
Quand je suis en colère contre ce système malveillant qui fait de la fin de la vie un business.
Quand je suis triste de te voir souffrir et que j’aimerais que mon amour puisse t’extraire ta douleur.
Quand j’ai peur de ne pas être là quand tu auras besoin de moi.

Je vous dirais bien que cette charge émotionnelle m’appartient et qu’un simple « bon courage » suffirait à me soulager mais je suis indignée de voir que mon cas n’est pas isolé.
Est-ce vraiment ce que nous souhaitons pour le quotidien de nos ainés ?
Un monde fragile qui ne tient qu’à l’énergie que nous, proches aidants, sommes capables de déployer ?

Et puis, un homme sage dont le combat est plus difficile que le mien me rappelle qu’il faut malgré tout se préserver.
Se préserver ne veut pas dire accepter et baisser les bras.
Se préserver pour moi, c’est apprendre à donner une place à cette souffrance mais toujours chercher le beau de ce monde.

Alors je remercie mes proches et amis, et en particulier ma maman et mon papa pour leur écoute, et surtout ma source intarissable de bonheur au quotidien, ma fille.
Merci pour sa joie, son sourire, son monde imaginaire dans lequel elle a toujours une place pour moi.
Merci de me donner ton énergie et ton amour qui me donne la force de les partager à mon tour.

Quand recevoir permet de donner et de préserver ce qui importe.
Quand le bon chemin est celui de mon cœur.

A tous les proches aidants qui ne sont en fait que des êtres remplis d’amour fragiles et forts à la fois.



Vianney : Nos Lendemains  :

https://youtu.be/xhpzdIiqRgA


vendredi 26 novembre 2021

Un jour à la fois - t'accompagner

Et voilà que nous devons choisir un ephad. Quel calvaire...
J'ai l'impression d'être dans un parcours du combattant, l'accompagnement des seniors ne devrait pas être un coup de poker à prendre au moment opportun.
D'un côté, notre souhait comme celui de beaucoup de familles de choisir un lieu et une équipe attentive à tes besoins et ton bien être.
D'un autre côté, l'aspect financier qui nous tiraille et ce business de la fin de vie qui m'écœure.
Qui peut aujourd'hui payer de telle somme? Le bien être et la prise en charge doivent ils être proportionnelles à l'épaisseur de ton portefeuille?
Alors voilà, des nuits sans dormir, à me questionner, à chercher un signe qui me guiderait vers la bonne voie.

Etre aidant, c'est une véritable mission.
L'attente, le doute, la solitude, voilà ce qui vous attend sur ce chemin.
Et le sentiment de trahison et d'imposteur, oui, j'ai tout fait pour que tu puisses revenir chez toi mais voilà manifestement, c'est un échec. Toujours des regrets, et si, et si...

Je te vois affaibli, toujours assis dans ce fauteuil, je vois ta zone de mobilité se réduire à quelques mètres, ton moral s'étioler et pourtant j'aimerais tellement te convaincre qu'être prisonnier de ce corps décharné ne change rien à l'homme courageux que tu es.
Qu'être dépendant des autres pour les actes du quotidien ne change rien à l'homme fort que tu es.
Mais tu es là sans être là.

T'apporter du soleil par des chansons, des photos, des nouvelles, te rappeler des souvenirs n'est pas toujours suffisant, t'accompagner c'est aussi ce sentiment d'impuissance.
Et pourtant, être là, juste là, c'est le seul et le plus cadeau que je puisse te faire.
Etre là, et garder espoir, toujours croire en cette vie à la fois magnifique et terrible.

Mon amour ne te rendra pas invincible mais j'espère que quoi qu'il arrive, il emplira ton cœur et ton âme.
De cette expérience de vie, je comprends que mon énergie est liée à l'autre.
Que pour donner, il faut aussi recevoir.

Merci à toutes les personnes qui m'apportent leur soutien, leur écoute, leur câlin et leur présence.
Tout cela me donne la force de mon engagement.

Alors je pense à cette phrase du film "presque"
"On est tous embarqué dans un train, on ne sait pas où on va, on ignore tout de la destination mais on est à bord"

jeudi 5 août 2021

Je te perds alors que tu es là

Je rentre et je sens une bonne odeur. 
Souvent, tu es déjà en train de d’activer aux fourneaux.
Des pâtes à la sauce tomate avec une demi livre de beurre, du pain perdu, de la soupe aux poireaux,… Il est 17h30, et je t’accompagne pour le diner, oui à 17h30 !... 
Depuis la mort de mamie, je passe en sortant du bureau pour te voir et pour que tu ne manges pas seul car je sais que tu es survivant, tu n’as plus ta femme, ton amour. 
Tu me racontes tes souvenirs de jeunesse, la guerre, le service militaire, tes premiers amours, la rencontre avec mamie, on parle de la pluie, du beau temps. 
Comme un vieux couple, nous faisons la vaisselle ensemble et je repars à 19h pour que tu puisses aller te coucher. 
Tu me raccompagnes et tu me fais coucou, appuyer sur ta grille, jusqu’à ce que j’ai quitté la rue. 

Cette période aura duré longtemps et puis les rendez vous se ont espacés progressivement. 
Les horaires plus longs au boulot, l’achat et les travaux à la maison, la naissance de ma fille. 
Pour autant, nous gardions des moments privilégiés, tôt le matin avant d’aller au bureau, je passe boire le café. 
Voilà que le temps a passé et maintenant tu as 90 ans. 
Je me suis toujours dit que le pire serait le jour où tu allais mourir. 
Que se serait pour moi une épreuve terrible et qu’on a beau « se préparer » psychologiquement, au moment de la séparation, on n’est jamais prêt. 
Mais le pire, en fait, c’est de te perdre alors que tu es là. 
Aujourd’hui, tu refuses d’accepter ton âge et toute adaptation de ton environnement ou changement d’habitude est vécu comme une persécution, tu es exigeant, têtu, tout est urgent, tu te mets en danger plutôt que d’accepter de l’aide, tu es absent : je te vois parfois assis avec tes yeux clairs figés dans le vide, tu es négatif parfois même agressif, tu es anxieux. 
Tu nous menaces « si je vais en maison de retraite, je me laisserais mourir » 
Bref, on appelle cela les difficultés liées à la perte d’autonomie. 
Et pour nous, ta famille proche, ce n’est pas facile. 

Les rôles changent, je ne suis pas ta bienveillante petite fille qui vient boire un café, je suis l’intendante de la maison. 
Je viens pour évaluer tes besoins et mettre en place des plans d’actions pour te maintenir, selon ton souhait, à domicile. 
Gérer les aides ménagères, faire tes courses, veiller à la propreté et à la sécurité. 
Un rôle ingrat, car pour toi, je suis à la fois bienfaitrice par mon aide mais également tortionnaire par les limites que je t’impose. (couper ton fil à linge pour ne plus te voir grimper sur des chaises, bouger des meubles pour ne plus que tu prennes les pieds dedans, te demander de faire des lessives plus souvent..) 

Ce matin, tu nous appelles à 4h40 car tu as fait une chute, nous courons pour arriver chez toi. 
Cette fois encore, tu as de la chance, tu n’es pas trop blessé. 
Nous bataillons pour déplacer cette foutue chaise dans le passage pour éviter que tu ne retombes, tu n’es pas arrangeant, ni tendre avec nous. 
Nous t’écoutons dire que tu aurais préféré y rester parce que tu n’es plus qu’un « grabataire ». 
Nous sortons découragés, épuisés, résignés. 
Ce n’est plus toi. 
Alors je ferme les yeux, j’accepte que cet homme amer ne soit pas toi. 
Tu disparais un peu chaque jour. 
Alors je monte dans ma voiture et je repense à cette odeur de pain perdu qui m’attendait quand je venais te voir et je sais qu’en dépit des difficultés, ma place est ici et maintenant à tes côtés en souvenir de çà.

Je rentre chez moi, il est 6h, je suis fatiguée, je monte dans ma chambre où mon mari et ma fille sont endormis dans le lit. Ma fille me dit qu’elle veut dormir contre moi, je la sers bien fort dans mes bras, je respire l’odeur de ses cheveux et je me repose une heure avant de repartir au bureau. 
La vie est là, elle continue malgré tout et me donner la force de me dépasser pour toi.



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